E-Kwality Radio Electronic Kwality Music
Le 02 mars prochain, vous pourrez retrouver sur nos ondes le DJ set virevoltant d’un habitué d’E-Kwality Radio, l’ami YANN LEAN.
En plus d’avoir déjà officié aux platines sur notre antenne, il a également été à plusieurs reprises co-animateur de L’Epicerie Fine, joyeux bordel radiophonique en direct qui sévit les premiers mois d’E-Kwality.
DJ, compositeur, arrangeur, ingénieur du son, mastereur, producteur, live-act… Son savoir-faire est particulièrement vaste, en plus de la maîtrise d’un talent certain dans la plupart des domaines touchant à la création musicale. On le retrouve donc de nouveau avec plaisir, mais cette fois-ci dans un format (interview) dans lequel il se révèle sous un angle différent et que vous ne lui connaissiez sans doute pas.
Rencontre donc avec ce génial zébulon bien connu chez Trunkline et autres COD3 QR.
Crédit photo: David Boschet
EKR : Salut Yann ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?
YL : Yannick Le Léannec aka Yann Lean, et seconde moitié du duo Trunkline avec mon ami Madben. Je suis DJ, compositeur de musiques électroniques et cofondateur d’une société de production audiovisuelle qui s’appelle Qivateva.
EKR : Quels sont tes premiers souvenirs musicaux (tous styles confondus) ?
YL : J’ai baigné dans la musique depuis toujours grâce à mon père, qui aimait se détendre en écoutant de la musique à la maison après ces journées de boulot à l’usine, et mon oncle qui faisait l’animateur radio les week-ends. Ce qui m’a le plus marqué quand j’étais enfant reste les fameux dimanches après-midi discothèque, que mon père animait pour les ados dans la grande salle du centre social de notre quartier. Le DJ booth était improvisé dans une sorte de cabine de projection. Il ne voyait le dancefloor que par une lucarne servant au vidéoprojecteur. Je me revois encore monter le rejoindre pour y regarder les réactions du public.
EKR : Te souviens-tu de ta première « claque » musicale ?
YL : Je devais avoir 7 ans et je m’en souviens comme si c’était hier : c’est lorsque j’ai entendu pour la première fois S-Express – « Theme From S-Express » lors de ces fameux dimanche après-midi. J’étais comme un dingue ! Le kick, les vocaux et cette basse acide qui tournoie. Le kiff ultime, c’est que je me suis également pris dans la gueule Inner City – « Good Life », M.A.R.S – « Pump Up The Volume » ou encore Afrika Bambaataa & The Soulsonic Force – « Planet Rock ».
Forcément, plus tard sont arrivés « The Bells » de Jeff Mills ainsi que son excellent « Mix-Up Vol.2 », ou encore Derrick May et son « Strings of life », et qui avait également fait un « Mix-Up » que j’écoutais en boucle.
Ma deuxième grosse claque, c’est quand j’ai vu à la télévision en 1996 un extrait d’un live de Scan X jouant « Earthquake » dans un hangar devant une foule en furie. Le petit truc en plus, c’est qu’il portait des lunettes avec une petite caméra nous permettant de voir tout ce qu’il faisait sur scène avec toutes ses machines. Je me suis dit : « Bordel de merde !! Je veux faire ça !!! »
Crédit photo: Antoine Ossière
EKR : Tes premiers pas derrière les platines, c’était quand et à quelle occasion ?
YL : Tout a commencé à la fin des années 90 sur un coup de bluff. Je commençais à sortir dans les bars à Brest où se produisaient des DJ’s, notamment à l’Amphi Bar ou au Wish Coffee. Il y avait l’un d’entre eux, JC aka DJ Maxi, qui avait une technique de malade sur vinyles et une sélection soignée orientée house music, deep house et garage. Ça groovait, ça faisait danser et ça m’a furieusement donné envie de mixer à mon tour.
On a commencé à se parler et un samedi soir, je lui ai dit que le deejaying m’intéressait beaucoup et que je voulais jouer lors d’une soirée. Naturellement, il me demanda si je savais mixer et sans me démonter je lui ai dit que oui, alors que pas du tout ! Il me donne rendez-vous à l’Amphi Bar le mardi après-midi suivant. La veille, après mes cours à la fac, n’ayant pas de platines vinyle pour mixer chez moi, je tente de faire mon premier mix au tempo avec 2 disques de Hip-Hop que j’avais à dispo dans la salle de répétition d’une association locale. 1er essai, ça ne passe pas… 2ème essai, je saisis le délire du couple et du pitch… et au 3ème ça passe nickel ! Je suis méga chaud patate !! « Allez, ça va le faire c’est easy en fait ! ». Ni une ni deux, je file voir mon pote Mick pour récupérer quelques skeuds qui vont bien pour le lendemain, car je n’en n’avais même pas assez pour faire un set complet. Je ne partais pas gagnant mais j’avais la foi. Le mardi après-midi, j’arrive donc au bar et il y avait des clients. JC m’invite derrière les platines et d’un air sérieux me tend direct 2 disques de Garage, le gars est joueur et me prévient qu’ils ne sont pas tout à fait réguliers dans leur tempo. Feignant la maîtrise et en totale inconscience, je m’exécute. Effectivement putain !! Ça bouge et ça passe tout juste. Il m’en passe d’autres du même style pour me mettre en difficulté, mais malgré le stress que j’essaie de maîtriser au maximum, tout passe à peu près. Une fois l’épreuve passée, je me fends en excuse pour les petites erreurs de calages et lui dit que ça devait être normal vu que j’avais appris à mixer la veille. Pensant à une vanne, il éclate de rire et demande à Aurélien, le patron du bar, si je peux revenir m’entraîner tous les mardis après-midi en prévision d’une première soirée.
Grâce à eux 3, j’ai pu apprendre à mixer devant un public. Quelques semaines plus tard, je faisais ma première soirée avec JC.
EKR : Tu as beaucoup collaboré avec des binômes depuis que tu composes. En quoi le fait de produire à plusieurs mains est-il une source de stimulation ?
YL : En phase de création, tu peux vite te retrouver sous le joug d’un sentiment qui peut bloquer : le doute. Tu ajoutes à cela les multiples compétences que tu dois maîtriser pour produire de la musique électronique : compositeur, orchestrateur, arrangeur, ingénieur du son, informaticien… Tu peux vite t’enfoncer dans le tourbillon du doute. Suivant les personnes, il peut être plus ou moins bloquant. Je fais partie de ceux qui doutent beaucoup. Et qu’est-ce que je peux me saouler !! Ha ha ha !!
D’un autre côté, la satisfaction de réaliser des choses pour soi et d’exprimer ses propres émotions est tellement grande que le jeu en vaut la chandelle. Quand je vois que ma musique peut produire des émotions à des gens que je ne connais même pas, c’est fou quand même !
Produire à deux c’est le partage du doute, c’est l’échange, le débat entraînant des prises de décisions assumées conjointement. En parlant de mon expérience, tout va plus vite et va plus loin car toutes les propositions musicales que tu soumets lors de la création sont tout de suite validées ou invalidées par ton binôme, et ainsi de suite pour le bien de l’œuvre. Et puis c’est du kiff de tester, d’oser et de rire à 2.
Petits conseils pour ceux qui veulent bosser à deux : il faut bien se connaître, ne pas avoir l’ego mal placé et surtout ne pas se forcer à travailler avec quelqu’un.
Crédit photo: David Boschet
EKR : Tu fais partie des artistes assez rares qui maîtrisent à la fois la création musicale, le mixage de tracks, le mastering, le live-act et le deejaying. Comment as-tu acquis toutes ces compétences, certes complémentaires, mais aussi très différentes ?
YL : Et je sais aussi faire de très bonnes lasagnes ! Avec le deejaying, ça va faire plus de 25 ans que je fais de la musique. Je viens du mix vinyles qui est une bonne école pour apprendre à caler tes disques et choisir ta sélection. Quand tu partait jouer, c’était avec des kilos de disques, donc gare à toi si tu n’avais pas bien anticipé avant et après qui tu jouais ! J’ai fait pas mal de soirées dans les bars du coin et autres que ce soit à Brest, Rennes ou Paris.
J’ai également travaillé pendant 2 ans et demi dans une boîte de nuit généraliste aux abords de Brest. C’était très formateur sur la gestion d’un dancefloor. Le jeu étant d’essayer de passer le plus de musiques underground dans un monde ultra mainstream et dans différents styles musicaux. Je ne peux pas dire si je suis DJ avant d’être compositeur ou l’inverse tellement ça s’est fait en même temps. J’ai commencé à faire des instrus typées electro hip-hop avec le groupe Fat Kom Ifo, composé de 2 rappeuses et 2 rappeurs de Brest. Pour ma part, c’était assez rudimentaire car je n’avais que 2 Korg Electribe (A1 et S1), une platine/graveur de CD et pas d’ordi. A l’époque on était vu comme des ovnis mais on s’en foutait. Franchement, ça envoyait du gros sur scène ! J’y pense de temps en temps en me disant que ça serait drôle de se refaire un son.
Pour le mixage musical et le mastering, j’ai engrangé pas mal de connaissances depuis tout ce temps et je cherche toujours de nouvelles techniques sur ma musique, des fictions ou des projets institutionnels. Je n’ai pas hésité à sortir du studio pour m’améliorer et faire des rencontres. Rien ne vaut le partage de connaissances avec ses pairs, créer des projets à plusieurs et aussi savoir se mettre au service de quelqu’un. Ma rencontre avec Benjamin (Madben) et la confiance qu’il me porte dans le mixage de ces morceaux depuis le début de sa carrière me permet encore de m’améliorer sur l’approche et le feeling d’un mix. Je le fais pour d’autres artistes également mais avec parcimonie, car je n’imagine pas mixer des choses que je n’aime pas.
De temps en temps, tu as des projets qui bousculent tes acquis. En mixant l’album trip-hop « The Trip » de mon ami Sébastien aka N’Zeng (L’Entourloop) en featuring avec Charlotte Savary (Wax Tailor), je me suis retrouvé avec des dizaines de pistes enregistrées en studio comprenant des drums, un quatuor à cordes, des guitares électriques, contrebasse, basse, claviers et les voix. Alors que 99% de la musique sur laquelle je travaille habituellement est instrumentale et réalisée par des instruments électroniques, je suis clairement sortie de ma zone de confort ! C’est le surkiffe de travailler sur un album, car tu dois accompagner la vision de l’artiste sur une dizaine de morceaux, rentrer davantage dans sa tête pour comprendre et proposer des choses.
Petit plus sur ce projet avec N’Zeng : je suis également crédité en tant que co-arrangeur sur le titre « One Day ». Sébastien bloquait dessus jusqu’à envisager de ne pas le faire figurer sur la tracklist de l’album. Depuis le début, je voyais ce qu’il était possible d’en faire et il m’a dit « Vas-y j’en peux plus ! Et là, t’as pas intérêt à te chier !! » Hahaha !!
Sur le mastering, je sais le faire mais je préfère que quelqu’un d’autre le fasse à ma place pour avoir une autre oreille sur mon travail. Et Lad de Caduceus Studio fait ça magnifiquement bien. Concernant la partie live, j’ai bossé sur celui de Benjamin dans sa conception et son mixage, ou encore sur le live de notre projet Trunkline. L’un est un live Ableton + contrôleurs avec une approche 1 bouton/1 fonction pour un maximum de versatilité ; et l’autre c’est du 100% machines en 2 setups regroupant des synthés, boites à rythmes, sampleurs avec une console de mixage au milieu, permettant beaucoup d’improvisations.
EKR : Si tu devais résumer ta musique en quelques mots, ça serait quoi ?
YL : C’est dur ça ! C’est plus facile de parler de la musique des autres que de la sienne. Je dirai : grooves, mélodies, Chicago, UK, Detroit.
Crédit photo: Antoine Ossière
EKR : La musique et la scène électroniques ont beaucoup changé ces dernières années. Quel regard portes-tu sur leur évolution ?
YL : Pas mal de choses ont changé depuis la crise du covid. Les lieux festifs ont été les premiers à être fermés et les derniers à avoir rouvert. Toute une génération n’a pas eu sa première expérience en soirée pendant l’adolescence. Alors quand il a été possible de refaire la fête, toute la frustration accumulée s’est exprimée par un besoin d’écouter de la musique de plus en plus dure et rapide. Le retour en force du gabber, hardstyle, hardcore et une techno qui se rapproche des 150 bpm en est le parfait exemple, avec des productions très cools. Mais ça va aussi avec beaucoup de trucs de très mauvais goût. On a par exemple cette mode de tracks avec de grosses montées et des gros drops, mélangés avec soit des samples de variété française, soit des trucs complétement random (les Choristes, vous êtes sûr là ??), ou issus de l’eurodance, qui est un style musical que l’on détestait quand c’est sorti à l’époque. C’était l’expression d’un dévoiement éhonté de la house et de la techno par les majors. Tu me diras que c’est l’expression impertinente de la jeunesse, qui n’est forcément jamais comprise par la génération précédente. Alors je veux bien être un vieux con sur ce coup-là, même si j’ai moi aussi des guilty pleasures assez kitch ! Hahaha !!
Après, il a des trucs super intéressants et novateurs qui sortent en UK, parce que bordel ! le UK quoi !! Mais aussi dans d’autres pays comme le Mexique, ou bien en Amérique du Sud et sur le continent Africain.
Ce qui change énormément, c’est qu’aujourd’hui, avec un ordinateur portable d’entrée de gamme, un bon casque, des logiciels open source et les bons tutos YouTube, tu peux vraiment écrire tout un album, le mixer, faire le mastering et le diffuser. Tout est accessible directement chez toi, dans ton canap avec une petite tisane. Je vais même aller plus loin en disant qu’avec une simple tablette, tu peux faire de même. L’avantage c’est que tout le monde peut s’exprimer et sortir sa musique. Il y a pas mal de nouvelles choses intéressantes qui en découlent et c’est super. Mais avec ce volume de plus en plus important, c’est plus de travail pour trier et trouver ce qui t’intéresse.
EKR : Quel(le)s sont les artistes qui te chatouillent joliment les oreilles en ce moment ?
YL : Le dernier truc qui m’a bien fait kiffer les oreilles, tant dans la qualité de la production que dans la musique, c’est le titre « Sora », extrait de l’album « He Hymns » de LCY. Après, j’aime bien des artistes comme Shed, Effy, Norbak, Chloé Robinson & ADHD, Dold, Kmyle, Voltaire, Deetron.
EKR : Peux-tu nous parler un peu du DJ set (et de son orientation) que tu nous proposes pour E-Kwality ?
YL : Je vous propose un DJ set d’environ 1h45 enregistré le 02 février 2024 en live au Vauban à Brest, lors d’un Cabaret Sonic organisé par Sonic Floor du festival Astropolis. Le Vauban, c’est une salle mythique sous l’hôtel du même nom, d’une capacité d’environ 450 personnes et ayant vu passer Dominique A, Miossec, Jeff Mills, Richie Hawtin ou encore Luciano et Ricardo Villalobos. Pour le line-up de cette soirée, il y avait Poppie en DJ set puis Voiron en Live et moi en clôture. C’était une soirée de ouf malade !! Le public était en feu, ça suintait du plafond, j’ai fini en sueur ! Musicalement, c’est un florilège de groove pour faire bouger ton corps.
EKR : Un dernier mot ?
YL : Chaleur !
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